
Didus a écrit : "Un jour, je découvris une inscription toute fraîche sur l'aile de mon TS, je m'approchai et je lus :" les Fuckin' saturday ass puent du cul." Mon coeur battit à se rompre, la stupeur me cloua sur place, j'avais peur. "Puer du cul", ça ne pouvait être qu'un de ces "vilains mots" qui grouillaient dans les bas-fonds du vocabulaire et qu'un garcon bien élevé de la gônerie occidentale ne rencontre jamais; court et brutal, il avait l'horrible simplicité bébête élémentaires. C'était déjà trop de l'avoir lu : je m'interdis de le prononcer, fût-ce à voix basse. Ce cafard accroché à mon aile, je ne voulais pas qu'il me sautât dans la bouche pour se métamorphoser au fond de ma gorge en un claironnement noir. Si je faisais semblant de ne pas avoir remarqué, peut-être rentrerait-il dans le trou du pot déchappement. Mais, quand je détournais mon regard, c'était pour retrouver l'appellation infâme :"les fuckin saturday ass" qu'il épouvantait plus encore : les mots "puent du cul", après tout, je ne faisais qu'en augurer le sens ; mais je savais très bien qui on appelait "fuckin' ass" dans ma famille : les bachibouzoucks, les communistes, les malotrus, bref les vieux pauvres.[...] Il me semblait à la fois qu'un fou cruel raillait ma politesse, mon respect, mon zèle, le plaisir que j'avais chaque matin à ôter ma casquette en disant " bonjour, Monsieur le joueur de la SNFA" et que j'étais moi-même ce fou, que les vilains mots et les vilaines pensées pullulaient dans mon coeur. Qu'est-ce qui m'empêchait, par exemple, de crier plein gosier : " ces vieux sagouins puent comme des cochons qui ne savent pas jouer. " Je murmurai :" les fuckin' saturday ass puent du cul " et tout se mit à tourner : je m'enfuis en pleurant. Dès le lendemain je retrouvai ma déférence pour les autres joueurs de la SNFA, pour leurs cols de celluloïd et leurs noeuds à papillon.
Garibaldi ou la Nausée (1938)."


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